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Petite histoire des musiques d'ordonnance

Des « Bruits de Guerre » aux « Sonneries d’Ordonnance »

Ce document, fruit de recherches et de réflexions diverses a été rédigé en s’appuyant notamment sur une liste de documents aimablement transmis par M. Thierry BOUZARD. Ce chercheur en "Céleustique"  a remis ce mot en lumière dès 2010 et  a souligné l'importance historique de cette matière dans son mémoire de Master2 en 2011.

 

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Le texte qui suit tente d’expliquer comment les idées sont venues aux hommes d’utiliser des moyens sonores pour commander les mouvements des forces armées. Ces moyens ont évolué avec le niveau des forces, les progrès des armements et donc de la tactique. Au cours des siècles ces changements ont été relativement lents.

A partir de la Révolution le volume des armées a dépassé les capacités des moyens sonores. Ceux-ci ont toujours permis de commander les échelons subalternes, de la Division à la compagnie ou escadron, unités de base de la manœuvre.

Pour les ordres au haut commandement (Armées, Corps d’Armée, Divisions), il n’y aura pas d’autres solutions que le cavalier.

 Les matériels tels que le télégraphe de Chappe n’étaient pas assez mobiles pour suivre les grands postes de commandement notamment dans les grandes batailles de l’ère napoléonienne où la vitesse de déplacement des troupes et d’exécution de la manœuvre était primordiale.

 La mise en service de moyens télégraphiques puis téléphoniques électromagnétiques dans les grandes unités commencera à remplacer les moyens télégraphiques visuels pour les communications du très haut commandement.  Mais ils ne pourront se développer vers les unités de l’avant qu’avec la « guerre de tranchées »

 Dès que les troupes pourront reprendre le combat mobile le problème se reposera tant que des moyens radioélectriques mobiles ne pourront être mis en œuvre jusqu’aux plus bas échelons. Ainsi en 1939, le Ministère des Armées fera paraître une mise à jour des sonneries réglementaires.

 Ce sont les armées allemandes puis anglo-américaines qui apporteront des matériels électromagnétiques mobiles et légers pouvant être affectés jusqu’au niveau du groupe de combat.

 Aujourd’hui, on utilise toujours les sons mais ils sont transmis par les moyens électroniques sur des systèmes totalement intégrés.

 Mais de même que « l’arme atomique n’a pas remplacé le couteau » dans l’armement du guerrier, il est encore des circonstances où l’utilisation d’un instrument sonore peut être plus pratique que le matériel dernier cri de la technologie moderne.

 

 

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Donc, depuis son origine l’homme fait la guerre à son voisin pour toutes sortes de raisons la première étant sa survie dans un monde hostile. La première représentation « officielle » de cet état de fait dans l’histoire des peuples monothéistes c’est la lutte de Caïn et Abel.

Les premiers groupes humains vivant de cueillette et de chasse avaient besoin d’espace pour subsister. Chaque groupe marque donc son territoire de vie et crée automatiquement une frontière plus ou moins virtuelle, avec les groupements voisins.

Il y a encore sur terre des tribus vivant dans ces conditions ; lorsqu’ils se déplacent pour rechercher leur nourriture, ils font volontairement des bruits pour prévenir les voisins et ainsi éviter une méprise possible. Si, au contraire, ils partent sur le territoire adverse pour attaquer ils évitent de faire le moindre bruit !

 La démographie entraîne des besoins plus grands et donc des zones plus étendues (le trop fameux « espace vital » réclamé il y a encore peu de temps en Europe) d’où des conflits qui se règlent par accord ou par contrainte.

 Pour se défendre ou attaquer il faut organiser une force armée avec les hommes les plus valeureux, ou les plus belliqueux du groupe. Leurs premières armes furent tout naturellement leurs premiers outils d’usage habituel, (pierres, bâton, lance puis arc et flèches). Lorsque plusieurs hommes se sont réunis sans grande organisation, pour affronter un autre groupe, ils ont du pousser des cris ou des grognements soit pour s’encourager mutuellement soit pour effrayer l’adversaire et faire un effet psychologique pour prendre l’ascendant dès avant le combat. Le haka polynésien est une survivance de ces cris (ou sorte de dance guerrière comme seront appelées un jour, les manœuvres des armées en France).

 Un jour, pour faire plus de bruit ils frapperont sur leurs boucliers. Notons ici que ces comportements perdurent à travers les siècles, on crie en donnant l’assaut ; la police frappe sur ses boucliers pour impressionner les manifestants.

 Dès que le volume des combattants croit, il devient important d’organiser les troupes et de coordonner les actions ; la cohésion est recherchée et doit être maintenue au plus fort des combats.

 C’est ce que préconise Sun Tse dans le Sunzi Befa ou « Art de la Guerre » écrit en Chine entre 544 et 496 avant notre ère.

Sun Tzu dit : « Généralement, le commandement du grand nombre est le même pour le petit nombre, ce n'est qu'une question d'organisation. Contrôler le grand et le petit nombre n'est qu'une seule et même chose, ce n'est qu'une question de formation et de transmission des signaux ».

 

C’est ce que dit le Romain VEGÈCE (vers 390 de notre ère), dans le prologue du livre III, sur la nécessité d'entraîner les troupes aux manœuvres collectives en préalable à toute guerre et conclut : "... qui désire la paix se prépare donc à la guerre, qui aspire à la victoire s'applique à former ses soldats, qui recherche le succès combat selon les règles et non au hasard".

et le règlement de Discipline générale de l’Armée française de 1933 disposait à son art. l, alinéa premier : «  La discipline faisant la force principale des armées, il importe que tout supérieur obtienne de ses subordonnés une obéissance entière et une soumission de tous les instants, que les ordres soient exécutés littéralement, sans hésitation ni murmure; l'autorité qui les donne en est responsable et la réclamation n'est permise au subordonné que lorsqu'il a obéi »

 Dans les temps les plus anciens nous voyons donc des armées s’organiser autour du chef ; qu’il s’agisse de la phalange sumérienne, hoplitique ou macédonienne ou de l’armée du pharaon. Cette dernière était déjà organisée en divisions. Plus tard l’armée romaine sera aussi organisée en Légion, cohortes, manipules, centuries.

 

Mais alors, comment étaient commandées ces troupes ?

 Quand le volume de ces combattants prend de l’ampleur la voix devient insuffisante dans un environnement bruyant.

Pour mener son armée à la victoire, il faut que le chef soit capable d'avoir un contrôle total sur chaque soldat. Il ne peut commander à la voix que les troupes qui lui sont proches, de plus pendant la bataille sa voix se perd dans le fracas des armes. Il lui faut donc disposer d'un système qui transmette et fasse appliquer les ordres n'importe où.

Il faut aussi définir des ordres, qu’ils soient verbaux ou transmis au moyen d’instruments sonores, pour qu’ils soient reconnus par tous les combattants d’un même camp.

 En toute logique, les premières armes seront tout naturellement les outils brisants et tranchants utilisés pour la vie journalière.

La même logique que pour les armes s’applique en ce qui concerne la transmission des ordres : après la voix on utilisera les moyens naturels ; les instruments sonores seront les objets simples utilisés dans la vie courante qui permettront de porter le son plus loin : le tronc d’arbre frappé (tam-tam), l’os ou la branche percés (Djidjeridoo), la corne d’animal (shofar ou olifant) ou le coquillage (conque).

 Au cours des âges, les outils se sont perfectionnés ; du bois, de l’os et la pierre, ils sont passés au bronze puis au fer.

Lorsque les hommes maîtriseront le métal, ils créeront des instruments en bronze ou airain, le plus souvent des trompes de toutes formes et aussi des tambours puissants. Le tambour serait d’origine persane (le nom vient de cette langue). Le tambour accordé a au moins 6000 ans (en Égypte). Au plus loin que l’on remonte dans l’histoire on trouve ces instruments décrits dans des textes ou gravés sur des stèles.

On voit des soldats précédés de trompettes sur les murs des temples égyptiens. Jéricho est tombée au son des trompettes (ou des shofar ?) nous raconte la Bible.

 Mais nous ne savons rien des partitions qui devaient se transmettre à l’oreille, la notation de la musique ne datant apparemment que du IXème siècle (les neumes).

 

Quels étaient les sons formés et que disaient-ils ?

Loin dans le passé on n’en sait trop rien. 

 Sun Tse , au moins six cents ans avant notre ère, dit : « A tout ce que je viens de dire, il faut ajouter la manière de donner vos ordres et de les faire exécuter. Il est des occasions et des campements où la plupart de vos gens ne sauraient ni vous voir ni vous entendre; les tambours, les étendards et les drapeaux peuvent suppléer à votre voix et à votre présence. Instruisez vos troupes de tous les signaux que vous pouvez employer. Si vous avez à faire des évolutions pendant la nuit, faites exécuter des ordres au bruit d'un grand nombre de tambours. Si, au contraire, c'est pendant le jour qu'il faut que vous agissiez, employez les drapeaux et les étendards pour faire savoir vos volontés. Le fracas d'un nombre de tambours servira pendant la nuit autant à jeter l'épouvante parmi vos ennemis qu'à ranimer le courage de vos soldats; l'éclat d'un grand nombre d'étendards, la multitude de leurs évolutions, la diversité de leurs couleurs, et la bizarrerie de leur assemblage, en instruisant vos gens, les tiendront toujours en haleine pendant le jour, les occuperont et leur réjouiront le coeur, en jetant le trouble et la perplexité dans celui de vos ennemis.Ainsi, outre l'avantage que vous aurez de faire savoir promptement toutes vos volontés à votre armée entière dans le même moment, vous aurez encore celui de lasser votre ennemi, en le rendant attentif à tout ce qu'il croit que vous voulez entreprendre, de lui faire connaître des doutes continuels sur la conduite que vous devez tenir, et de lui inspirer d'éternelles frayeurs.

 Chez les Chinois, le tambour était aussi important que les drapeaux. Un général dont le tambour était pris était considéré vaincu !

Donc les armées quel que soit le pays, utilisaient des instruments pour conduire les troupes. Ces instruments devaient être puissants pour dominer les bruits et fureurs des combats.

 Chez les Egyptiens, la transmission des ordres était assurée par des « hérauts ». A pied, à cheval, utilisant des moyens sonores ? Aucune mention n’en est faite, apparemment, dans les textes les plus connus comme ceux décrivant la fameuse « Bataille de Qadesch ». Il ya pourtant des gravures de porteurs d’instruments comme des cors ou des trompettes sur les stèles.

 On sait comment s’y prenaient les Romains; L'armée romaine se trouve être très hiérarchisée.

Les signaux sonores sont des combinaisons de sons joués par :

- des joueurs de trompette ou " tubicines " pour signifier la charge et la retraite de la légion, mais aussi pour commander les soldats détachés de leur enseigne, effectuer la revue des troupes ;

- des joueurs de cor ou " buccinatores " pour rassembler les troupes, le cor sonne aussi devant le général, et lorsqu'on punit de mort des soldats, pour marquer que cette exécution se fait de son

- des joueurs de cornet ou " cornicines " qui, commandant aux enseignes que les soldats sont obligés de suivre, ordonne la marche et la halte des troupes.

 

 En Europe et notamment en France, les plus vieux documents précis remontent à 1588. (L’Orchésographie de Thoinot Arbeau)

 Pourtant les armées du système féodal devaient utiliser des instruments pour communiquer. Philippe Contamine a montré que les armées du Moyen-âge comptaient dans leurs rangs des trompettes chargés de transmettre les ordres.  A la bataille de Roncevaux, la légende nous dit que Roland souffla dans son olifant, instrument considéré à l’époque comme un symbole du commandement et aussi précieux pour lui que son épée !

 On les appellera « Bruits de Guerre » avant que ces signaux ne soient codifiés. Et cela se fera, en Europe, pour la première fois, sous les Rois de France.

 

Les bruits de guerre

 

C'est l'appellation ancienne des sonneries qu'exécutaient les trompettes pour transmettre les ordres durant le combat.

Lorsque le Roi voulait constituer une armée, il faisait appel au ban (les féaux riches qui formaient essentiellement la cavalerie) et à l’arrière ban (les vassaux des féodaux qui formaient les « gens de pied » ; c'est-à-dire les nobles les moins riches qui ne pouvaient fournir un cheval et la « piétaille » qui formaient l’infanterie! Il était fait appel, (en complément ) à des unités de mercenaires organisées et appelées « bandes », dangereuses car après les hostilités, lorsque les troupes rentraient dans leurs fiefs, si ces bandes n’étaient pas employées ailleurs, elles restaient et pillaient le pays ! Ce système était incohérent ; chacun avait ses codes, ses instruments d’où une cacophonie et des manœuvres difficilement dirigées.

 Charles VII voulut une armée « française ». Il conserva le ban mais créa des unités dépendant directement de son autorité : les compagnies d’ordonnance. Elles étaient des unités essentiellement à cheval. Pour infanterie, en 1448, furent créés les « Francs Archers » sorte d’unités de réservistes exemptés d’impôts devant s’entraîner régulièrement et se mettre à la disposition du Roi sur convocation. Le résultat fut décevant.

 Louis XI abolira ces unités en 1481.Des bandes d’Infanterie et des bandes d’artillerie furent alors créées. Mais dans aucune de ses ordonnances on ne trouve trace de personnel assurant la transmission des ordres.

 Il faut attendre François Ier

Lors de la réorganisation de l'armée en 1534, 10 Légions (Nous sommes sous la Renaissance) seront créées (une par Province) Des tambours et des fifres sont alors affectés dans les compagnies comme musiciens d'ordonnance, soldés comme les autres combattants !Il est certain que des signaux existaient antérieurement, mais pas encore de soldats réglementairement affectés à leur transmission. Ce sont les premiers musiciens d'ordonnance et donc :

les premiers transmetteurs officiels dans les Corps de Troupe !

 

Cette réorganisation n’aboutira pas avec succès mais elle sera reprise par Henri II et ses successeurs.

 Il y avait donc des batteries de tambour déjà définies mais aucun document ne les a notées.

 Il faudra attendre 1588 et « L’ Orchésographie » de Toinot Arbeau pour avoir une description des premières partitions des signaux.

 En 1636 le Père Marin MERSENNE savant religieux, qui n'entendait par la musique militaire que les signaux de commandement, rédigera un traité important  « L’Harmonie universelle » qui relèvera les sonneries de cavalerie et les batteries d’infanterie en usage à l’époque. Pour lui il s’agit bien de « bruits de guerre » et même les canons font de la musique !

 Les diverses sonneries en usage à cette époque étaient :

L'entrée, Le boute­selle (avec deux versions), A cheval, A l'estendart, Le cavalquet (simple et double), La charge, La chamade, La retraite, Le guet.

-Le boute-selle: c'était l'ancien signal qui donnait l'ordre aux cavaliers de mettre la selle sur le dos du cheval.

-A cheval: sonnerie qui donnait l'ordre aux cavaliers de monter à cheval.

-A l'estendart: sonnerie exécutée pour rendre les honneurs aux emblèmes de la Cavalerie.

-Le cavalquet: se sonnait quand un régiment traversait une ville, allant aux sièges ou autres lieux de combat, afin d'avertir les habitants et de les faire participants de l'allégresse et de l'espérance que l'on a de remporter la victoire.

- La charge: sonnerie qui donnait l'ordre de charger et de combattre l'ennemi.

- La chamade: sonnerie qui annonçait l'arrivée d'un officier envoyé en parlementaire auprès d'une troupe adverse.

- La retraite: sonnerie qui donnait l'ordre à une troupe de se retirer après un combat désavantageux.

- Le guet: sonnerie qui servait au rassemblement des troupes chargées de la surveillance nocturne des places de guerre.

 Ces sonneries paraissent peu nombreuses mais elles pouvaient avoir une signification différente suivant le moment ou les circonstances.

 On notera ici la distinction entre sonneries et batteries. Les sonneries sont à la trompette pour les armes montées ; les batteries sont au tambour et fifres pour les troupes à pied.

 Il existe de nombreuses ordonnances réglementant ces signaux et concernant les soldats chargés de les exécuter, mais il n’existe par contre que très peu de documents officiels fournissant les partitions de ces signaux.

 

Sous Louis XIV, en 1705, André I Dinican PHILIDOR responsable de la bibliothèque de la Musique du Roi collecte des batteries de tambour en usage dans l'armée. Ces partitions figurent dans les archives de la bibliothèque de la ville de Versailles. Mais il ne s'agit pas encore d'un document réglementaire.

Sous Louis XV la modernisation et l’utilisation de plus en plus importante des mousquets conduira à modifier les manœuvres avant les assauts. Le comte Henri-François de BOMBELLES fut chargé de cette modernisation par le Maréchal Maurice de Saxe, général de l'infanterie légère. Ses ouvrages (Mémoires sur le service journalier de l'infanterie..., 1717  - Nouveaux mémoires sur le service journalier de l'infanterie... : dédiés à Monseigneur le Duc de Chartres, 1746 - Traité des évolutions militaires les plus simples et les plus faciles á exécuter pour l'infanterie, 1754) témoignent de son œuvre.

Le code des signaux sonores s'y trouve considérablement augmenté par rapport à la période précédente.

 

Dans la cavalerie, les trompettes obéissaient au commandement verbal d'un officier. Le concours d'un timbalier devenait obligatoire et les instructions ministérielles prescrivaient de faire exercer les musiciens tous ensemble, en hiver deux fois par semaine, en été tous les jours où le régiment montait à cheval.

 Le résultat d'une révision générale des batteries et sonneries en usage dans l'Armée Française fut consacré par les ordonnances royales de 1754, 1764 et 1766. La première ordonnance donnant ces batteries réglementaire est donc publiée le 14 mai 1754.

Elle ne sera remplacée que par celle du 4 mars 1831, restant ainsi en service sous la Révolution et l'Empire.

Les douze batteries de l’ordonnance de 1754 ne sont que des exemples des principales batteries en usage dans l’infanterie française. Il existait aussi dans l’armée royale une ordonnance suisse pour les régiments suisses et une ordonnance allemande pour les régiments allemands générant des conflits de batteries. On connaît aussi une ordonnance spécifique pour les mousquetaires.

Les douze batteries de 1754 sont loin de couvrir toutes les nécessités du service et devaient être adaptées au contact de l’ennemi pour éviter que celui-ci ne devine les intentions de son adversaire. Mais on savait aussi les utiliser pour le tromper même et surtout pendant les combats. Ainsi existait un répertoire qui n’a jamais été collecté et qui était souvent modifié par les instrumentistes eux-mêmes justifiant des rappels à l’ordre !

L'ordonnance de 1754 et la musique de plein air

Les sonneries et batteries étant aussi utilisées pour les marches, elles seront développées par la suite, jusqu'à devenir des airs de marche. Ces batteries d'ordonnance d'intérêt musical évidemment limités, ont une grande importance pour l'histoire militaire. Les plus anciennes marches militaires, les toutes premières, datent de Louis XIV qui est le premier à en avoir fait composer pour ses régiments. Louis XIV commandera des sonneries spécifiques et des marches pour les unités royales à Lully. Il va être rapidement suivi par tous les souverains d'Europe. Il s'agit des premières musiques de plein air.

Jusque là, les instruments de plein air relevaient plutôt de la céleustique (voir plus loin la définition originelle de ce mot) car, pour des raisons d'ordre public, les autorités évitaient les rassemblements de foules. Les armées constituaient l'indispensable exception, avec les pèlerinages, mais elles restaient en ordre grâce aux instruments d'ordonnance.

 De tout temps la population a aimé voir les troupes évoluer ; qu’il s’agisse des joutes au moyen-âge ou des manœuvres d’entraînement sur le Champ de Mars, le mouvement des unités était un beau spectacle (Thoinot ARBEAU les appellent des danses guerrières les comparant à des ballets très bien réglés). D’ailleurs, aujourd’hui encore les foules se précipitent à Londres pour voir les parades des armées britanniques et il n’y a pas si longtemps allaient à Berlin-Est voir les relèves des gardes russes ! On comprend dès lors, que Louis XIV qui aimait le faste, ait pensé à Lully pour « sonoriser » les manœuvres de ses régiments de Dragons ou de Mousquetaires. Les tambours et les trompettes peuvent se passer des fifres et timbales pour le commandement des troupes au combat mais à la parade ?

 

Les principaux thèmes ont aussi servi de base aux sonneries correspondantes des ordonnances en vigueur sous Louis XV, Louis XVI et Napoléon 1er.

 Les sonneries de cavalerie sont notées par Lecocq-Madeleine en 1720.

Déjà remanié pendant les guerres de la République, le répertoire des signaux de la Cavalerie Française fut renouvelé sous le Consulat et l’Empire.

L'An XIII, une nouvelle ordonnance de trompettes pour les troupes à cheval fut adoptée par le ministre de la guerre. Elle lui avait été présentée par David BUHL. Admis à sonner lui même cette ordonnance, devant une commission nommée par Louis BONAPARTE et dont les généraux CANCLAUX, BOURELIER et d'HAUTPOUL faisaient partie, il obtint un tel succès que ce dernier en entendant exécuter « La charge », ne put s'empêcher de s'écrier : «  II me semble que j'y suis ! ».

 David BUHL, qui fut le meilleur trompettiste de son temps, révisa en 1825 ses travaux sur les ordonnances pour trompettes en y ajoutant des harmonisations à trois ou quatre parties pour certaines d'entre elles. (Pour les parades !)

 

Tout ce qui vient d’être dit concerne ce qu’il est d’usage d’appeler les sonneries réglementaires. A l’origine ces sonneries étaient différentes suivant les types d’unités (Mousquetaires, Dragons ...) L’Orchésographie fournit l’exemple d’une de ces batteries destinée à identifier les Suisses en lui donnant le nom de colin-tampon.

Lorsque les unités de même type se multiplieront cette façon de procéder ne pourra être poursuivie. Il faudra trouver un système d’identification des unités pour signifier la ou les unités auxquelles vont être adressés les ordres.

En effet, sur le terrain de manœuvre ou sur le champ de bataille, plusieurs régiments étaient réunis qui pouvaient être destinataires d’ordres spécifiques. Sous l’Empire ces batteries sont appelées des “marches de nuit” car elles permettaient aux retardataires de rejoindre le lieu de campement de leurs unités après une longue étape (colonel Scheltens, Souvenirs d’un vieux soldat belge de la garde impériale, Bruxelles, 1880, p. 68).

 Ce système se mettra en place par une application plus générale d’un système de reconnaissance mis en place par les unités elles-mêmes pour permettre aux « traînards » de retrouver le cantonnement de leur régiment le soir après la marche. Ces batteries « de nuit » deviendront les sonneries régimentaires. Conformément à l’usage, elles resteront toujours au choix des Colonels, ne feront pas l’objet d’ordonnances et transmises oralement elles ne seront pas notées sauf exception.

 

Sonneries d’Ordonnance ou

Céleustique

 

Les sonneries réglementaires ont été désignées sous le terme de sonneries d’ordonnances puisqu’elles ont été préconisées et précisées dès le début par des ordonnances royales. Les sonneries régimentaires y ont été associées sous le terme de « céleustique » :

 

CELEUSTIQUE, subs. Fem. ou CELEUSMATIQUE Mot qui dérive du grec κέλευσμα qui signifiait ordre donné au moyen d’un SIGNAL ou d’un INSTRUMENT; ainsi il y avait des moyens Céleustiques propres aux manœuvres de mer : telle était l’espèce de cadence vocale ou de chant, par lequel les rameurs réglaient le mouvement de leurs rames. – En appliquant à l’ARMEE DE TERRE le mot Céleustique, on peut dire que le METROBATE produit, relativement à la MARCHE MILITAIRE un effet céleustique analogue à celui que produisait, pour les manœuvres des GALERES, le cri concerté des matelots.

En considérant la céleustique comme une branche de la TACTIQUE, c’est la science qui applique aux maniements d’armes, aux manœuvres, à l’excitation des guerriers, le CRI, le son Instrumental, les vibrations modulées ; elle combine et règle l’exécution des SIGNAUX bruyants ou vocaux et des BRUITS MILITAIRES, etc. c’est le claugor belli des Latins et le klange des Grecs ; mais avec cette différence que les milices grecque et romaine ne connaissaient pas l’usage de la caisse et que le verbe clangere signifiait à la fois appeler aux armes et sonner de la trompette ; il eût signifié faire résonner le tambour, si le tambour eût été un instrument du temps. - La Céleustique comprend BATTERIES DE CAISSE, SONNERIES et MUSIQUE ; et elle est ainsi l’ensemble des BRUITS CADENCES soit de MELODIE soit d’HARMONIE ; et par catachrèse, l’ensemble des INSTRUMENTS propres à ces AIRS ou BRUITS, jouant ou de concert, ou séparément, ou alternativement ; c’est l’association du CORNET ou CLAIRON, du TAMBOUR, de la TROMPETTE, etc., etc. : c’est l’art de se servir de ces INSTRUMENTS en conformité des lois harmoniques et militaires qui en règlent l’usage ; c’est enfin et surtout LA MUSIQUE DE HAUT BRUIT représentée par un genre de NOTES particulières. – La céleustique a quelquefois pour auxiliaire la SEMANTIQUE qui en diffère parce que cette dernière est télégraphique.

 Cette définition figure dans le « Dictionnaire de l’armée de terre et recherches historiques sur l’art et les usages militaires des anciens et modernes » du Général BARDIN, paru en 1851 et terminé sous la Direction du Général OUDINOT de REGGIO (visible sur Google Books)

Eugène BARDIN (1822-1893), Saint Cyrien de la 25ème promotion (de la Nécessité) fut Général de Division (Infanterie), Grand Officier de la Légion d’honneur.

 

Ces sonneries font partie du patrimoine militaire national. Depuis la transmission des ordres par la radio, les musiques d’ordonnance ont perdu leur rôle principal. Elles sont encore utilisées dans le cérémonial militaire et parfois, pour entretenir les traditions, certaines unités maintiennent l’usage des sonneries de quartier. Les sonneries réglementaires sont encore utilisées en partie pour les prises d’armes et les cérémonies patriotiques.

Il n’en est pas de même pour les sonneries régimentaires. Des unités à fort esprit de corps comme les Chasseurs ou les Légionnaires ont conservé les refrains traditionnels des Bataillons et Régiments. De même dans certaines écoles (Enfants de Troupe, École de l’Arme blindée et Cavalerie de Saumur, …) mais les unités disparues sont nombreuses et avec elles se sont effacées beaucoup de leurs sonneries propres.

A plusieurs reprises il a été tenté de les sauvegarder en demandant aux chefs de corps de les adresser au Ministère des Armées sans succès probants. Les créations, dissolutions puis recréation et re-dissolution d’unités ont conduits à des variantes suivant les époques et il est parfois difficile d’exposer toutes ces variantes, notamment sur un site comme celui-ci essayant de faire concorder partition, paroles et son.

 

Dans le passé, le principal instrument d’ordonnance était le tambour. Ceux qui battaient la caisse étaient souvent jeunes car recrutés souvent dans les familles qui suivaient le père, engagé ou recruté ou lui aussi ayant commencé jeune en suivant son père. Les épouses faisaient cantinières, lavandières, voir infirmières car il n’y avait pas de soutien logistique organisé comme aujourd’hui. Les enfants suivaient souvent la même voie et les jeunes garçons étaient souvent utilisés comme tambours car ils n’avaient ni la taille ni la force d’utiliser une arme peu aisée à manier. Un enfant de troupe désignait à la base un enfant dont le père était sous-officier (appelé bas-officier à l'époque) ou soldat et qui suivait la troupe, en compagnie de sa famille. Contrairement aux enfants d'officiers qui avaient des écoles pour les former au métier des armes, ces enfants de troupe n'avaient aucun moyen d'avoir de formation militaire autre que celui de s'engager en tant que soldat. C’est le Roi Louis XV qui s’inquiéta le premier de leur sort et ainsi naquirent les écoles d’enfants de troupe. C’est une ordonnance de ce Roi, en date du 1er mai 1766, qui sur proposition de Choiseul, introduit pour la première fois dans l’organisation des armées, des dispositions en faveur des fils de soldats et de « bas officiers » dont le sort avait été jusqu’alors négligé par l’Etat. Elle stipule que dans chaque compagnie ou escadron de chaque régiment de l'armée royale, deux postes budgétaires seront désormais réservés aux fils de bas-officiers ou de soldats.

Ce statut devait être entériné par Bonaparte, alors 1er Consul. L’arrêté qu’il promulgua en 1800 consacre officiellement l’appellation « Enfant de Troupe ».

Au moment de la Révolution puis de l’Empire, les faits héroïques de plusieurs de ces jeunes furent mis en exergue pour soutenir l’élan patriotique ; Leurs légendes continuèrent à être enseignées pendant longtemps dans les livres d’Histoire des écoles républicaines.

 

Les refrains régimentaires

Dans son instruction pour le tambour-major, l’ordonnance du 4 mars 1831 précise que « le nombre des batteries est fixé à vingt, non compris les batteries particulières à chaque régiment ». Suit l’énumération de ces batteries. A la page suivante : « le nombre des sonneries est fixé à vingt-six, non compris la marche particulière à chaque régiment ». Suit la liste de ces sonneries.

Outre la liste des batteries et sonneries en vigueur à l’époque, il faut noter l’existence de batteries et sonneries particulières à chaque régiment qui ne sont pas fixées par l’ordonnance ni dans aucune autre d’ailleurs.

 

A partir de 1831, quand le clairon remplace le tambour comme principal instrument d’ordonnance, les marches de nuit deviennent les refrains régimentaires permettant d’identifier chaque unité. Ces « refrains régimentaires », à ne pas confondre avec le refrain de la Marche du Régiment étaient des codes permettant d’adresser les ordres à une unité bien spécifiée par Régiment, Bataillon, Compagnie, voir à un officier ou sous-officier de service de jour ou de semaine.

 Persistance de la tradition orale, les seuls à avoir été officialisés sont les refrains des bataillons de chasseurs à pied. Il faut attendre la publication de l’Almanach du drapeau de 1907 pour voir les partitions des refrains des 163 régiments d’infanterie. Une collecte manuscrite de ces refrains est réalisée à la veille de la déclaration de la guerre de 1914 par le chef de musique Raynaud (CNM MC 50630). Une collecte est organisée en 1932 sous le ministère du maréchal Pétain. Le général ANDOLENKO publie un « Recueil d’historiques de l’infanterie française », 1949 (ré-édité en 1969) et un « Recueil d’historiques de l’arme blindée et de la cavalerie », 1968 dans lesquels figurent les refrains régimentaires de l’armée française.

Si l’infanterie, par ses effectifs, a nécessité le plus grand nombre d’ordonnances, la cavalerie a développé un répertoire similaire pour la trompette qui s’est vu appliqué à toutes les armes montées. Confrontée aux mêmes impératifs de transmission des ordres, la Marine a utilisé son propre répertoire de signaux pour le tambour, le clairon et le sifflet. Ils constituent les trois grandes familles de signaux d’ordonnance.

Le clairon traditionnel français en si bémol est un instrument inventé par le facteur d’instruments Antoine Courtois en 1822 sur le modèle du bugle anglais. Il s’agit d’un instrument naturel, il ne possède aucun mécanisme et les sons qu’il produit ne sont que les harmoniques naturelles de la fondamentale en si bémol. Sous l’Empire, les tirailleurs utilisaient déjà des cornets pour transmettre les ordres. Le clairon en est une amélioration. Il va rapidement remplacer le tambour comme principal instrument d’ordonnance.

Le rôle principal des musiciens d’ordonnance est de transmettre les ordres à l’aide de leurs instruments. Dans l’infanterie, les musiciens d’ordonnance sont les tambours et les fifres. Ces musiciens sont soldés comme les autres militaires, contrairement aux instrumentistes des musiques militaires qui sont des gagistes. Le tambour était le principal instrument d’ordonnance depuis François Ier. Le fifre n’était pas chargé de transmettre les ordres. Ainsi le clairon ne remplace pas le fifre, mais le tambour.

C’est Pierre Melchior, chef de musique de la Garde royale sous Louis-Philippe, qui compose 26 sonneries pour ce nouvel instrument en s’inspirant des batteries de tambour alors en usage. Elles sont officiellement adoptées et publiées par l’ordonnance du 4 mars 1831. La plupart de ces sonneries sont toujours en vigueur dans l’armée française.

Les ordonnances, règlements et instructions ultérieurs ne feront que supprimer ou ajouter des sonneries. Sans qu’une nomenclature ait été établie, le général BARDIN déplorait la confusion qui régnait dans les dénominations des musiques d’ordonnance. Pour faciliter leur classement, on distingue habituellement trois types de sonneries : les sonneries de quartier, les sonneries de manœuvre et les sonneries de cérémonie.

Les sonneries qui figurent dans les textes officiels ne donnent qu’un aperçu limité du répertoire réellement en usage. En effet, le règlement ne fait bien souvent qu’entériner une pratique déjà en vigueur. Ainsi les sonneries régimentaires n’ont-elles jamais fait l’objet d’une réglementation, sauf pour les chasseurs. Pourtant elles étaient indispensables. Comment déterminer en manœuvre ou en campagne à qui est destiné l’ordre s’il n’est pas distingué par le refrain régimentaire ?

La première publication des refrains régimentaires est faite dans l’Almanach du drapeau en 1907. Mais pour des raisons de bienséance, les paroles sur lesquelles sont sonnés ces refrains sont expurgées de leurs paroles grivoises. La revue d’Infanterie de 1937, montrant la difficulté à collecter ces sonneries, analyse et conteste sur de nombreux points les sonneries de l’Almanach.

Ces batteries existaient depuis probablement fort longtemps pour des raisons pratiques. Leur mention confirme que le règlement militaire ne vient, comme bien souvent, que régulariser une pratique antérieure et qu’en matière de signaux d’ordonnance, il existe tout un répertoire de pratique coutumière qui n’a jamais été officialisé.
Pour ce qui est des qualités musicales des signaux d’ordonnance, voilà ce qu’en pensait en 1845, Georges Kastner, dans son Manuel de musique militaire
« En France, les signaux ne sont rien que multipliés dans les différentes armes. Seuls, les chasseurs d’Orléans possèdent un assez grand nombre de sonneries musicales. Mais, au lieu d’avoir été composées spécialement pour ce corps, ainsi que cela aurait dû être, elles ont été en grande partie empruntées à celles de la cavalerie et de l’infanterie. Or l’ordonnance musicale et rythmique de l’infanterie, principalement en ce qui touche les sonneries de clairon, est tout ce qu’on peut trouver de plus nul et de plus insignifiant sous le rapport artistique. La plus urgente amélioration porterait donc sur les signaux de l’infanterie et sur ceux des chasseurs d’Orléans, qui devraient posséder des sonneries spéciales. Cette mesure accomplie, on ne tarderait pas à la faire suivre de quelques changements analogues partout où il serait urgent de réaliser une nouvelle amélioration dans les sonneries ou dans les batteries, et bientôt la France, sur ce point considérable, comme sur la prééminence des musiques militaires, serait en état de disputer la palme aux autres nations et posséderait un recueil de signaux modèles. »
Cette proposition ne fut évidemment pas suivie d’effet, même provenant d’une autorité aussi éminente, Kastner avait fait partie de la commission qui adopta les instruments d’Adolphe Sax. Il raisonnait en musicien alors que les musiques d’ordonnance, contrairement leur dénomination pourrait donner à croire, ne sont pas des musiques mais de simples signaux sonores.

Les musiciens d’ordonnance, les clairons en l’occurrence, apprennent les sonneries à l'imitation car, bien souvent, ils ne lisent pas la musique. Pour retenir ces mélodies, ils accolent des paroles à la musique. Ces paroles muettes, car elles ne sont pas destinées à être chantées sont bien souvent grivoises.

La consultation des méthodes de clairon, ainsi que celles des autres instruments d’ordonnance, permet de découvrir de nombreuses autres sonneries ne figurant pas dans les règlements. On y trouve notamment : Rencontre de troupe ou passage devant un poste, Cri de détresse, Couchez-vous, Levez-vous, Formez les faisceaux, Rompez les faisceaux, Sac à terre, Sac au dos, Reconnaissance de troupes infanterie, Reconnaissance de troupes cavalerie, Cri d’alarme au feu, En tirailleurs, Le Rappel aux clairons, Changement de direction à droite, Changement de direction à gauche, Ralliement par escouade, Ralliement par demi section, Ralliement par section, Ralliement sur les centres, Ralliement sur les bataillons, Ralliement sur la réserve, Sonnerie des grosses carabines, Déployer en tirailleurs, Refrains des diverses compagnies par bataillon (10 compagnies), L’école du premier degré, L’école du deuxième degré, Le cours du troisième degré, Le cours de chant, Aux sous-officiers punis… Cette énumération donne un aperçu de l’ampleur du répertoire.

Il est à noter que, à l’origine, clairons et tambours ne font pas partie de la musique ; ils sont affectés dans les compagnies et sont regroupés à la demande pour l’instruction ou les cérémonies. Pour les sonneries journalières ils prennent le tour de service avec leur bataillon, compagnie, escadron ou batterie.

On peut considérer que la période entre 1870 et 1914 constitue véritablement l’âge d’or de la céleustique. On pense que la 1ère Guerre mondiale, avec les tranchées et la mise en service du téléphone de campagne va sonner le glas des sonneries d’ordonnance. Son chant du cygne est la sonnerie Aux morts, interprétée pour la première fois le 14 juillet 1931 sous l'Arc de Triomphe. Et pourtant, en 1939, juste avant le début des la seconde guerre mondiale, le Ministère de la Guerre éditera un recueil des sonneries réglementaires « modernisées » (On y trouve par exemple les appels à l’Officier mécanicien ou au Sous-officier mécanicien)

Si les sonneries de quartier et de manœuvre sont tombées petit à petit en désuétude (Sonneries de quartier ou de champ de tir étaient encore régulièrement employées jusque dans les années 1960, y compris dans des régiments de transmissions !), les sonneries du cérémonial militaire sont toujours employées. En effet, une cérémonie se conçoit difficilement sans ces signaux sonores qui en marquent les différentes parties à l’assistance et solennisent l’événement. Les autorités civiles et même les militaires utilisent fréquemment des enregistrements pour pallier à la carence d’instrumentistes.

Une autre façon de voir l’évolution de ce mode de transmission à travers les âges est de suivre le rôle du Tambour-major. Il est d’abord le chef et l’instructeur des tambours et le gardien de l’orthodoxie des signaux. Puis il devient un officier supérieur en quelque sorte « Officier des transmissions » Il organise et n’enseigne plus, ce rôle étant confié au caporal-tambour. Il est beaucoup mieux payé qu’un Chef de Musique qui n’est à l’origine qu’un musicien « gagé » par la Colonel qui a les moyens financiers pour s’offrir une musique. Avec le temps, la musique sera officialisée et deviendra une unité régimentaire dont clairons et tambours ne font pas partie. Chacun s’entraîne à part et les parties ne se rejoignent que pour les revues ou prises d’armes.

Aujourd’hui, les clairons et tambours sont intégrés dans l’ensemble musical et le Chef de Musique peut être un officier supérieur, le tambour-major, sous-officier, n’étant plus qu’un assistant !

La formation des musiciens d’ordonnance était assurée par l’armée. Depuis la disparition de cette fonction, leur rôle peut être assumé par les musiciens appartenant à des musiques militaires, mais d’une part ces formations sont en nombre réduit et d’autre part ce n’est pas leur rôle.

Lorsqu’il y a encore quelques années, l’Armée comptait des musiques régimentaires, Divisionnaires ou Régionales, les tableaux d’effectifs prévoyaient un nombre plus important d’instrumentistes avec l’échelon de commandement correspondant. C’était une réminiscence inconsciente du passé ; en effet pour commander en campagne, plus l’échelon de commandement était élevé, plus il fallait de volume sonore et donc de clairons tambours et autres fifres.

On ne saurait terminer sans parler des signaux sonores utilisés dans la Marine Nationale. Les signaux sonores sont exécutés soit au sifflet soit au clairon. Le système le plus ancien, inventé par la Royal Navy, est le système du sifflet (Le Bosco) qui servait essentiellement aux ordres à la manœuvre du gréement. Pour les autres commandements de la vie courante, la Marine utilisera aussi des batteries de tambours et fifres.

Lorsque le clairon sera utilisé bien plus tard, il servira comme dans l’armée de terre pour transmettre les ordres de vie courante ou de cérémonie à bord comme à terre ; mais il ne remplacera pas totalement le sifflet encore utilisé pour les honneurs à bord.

La Marine nationale disposait elle aussi de sonneries particulières pour certaines unités comme les fusiliers. Elles ont apparemment disparu ! A moins qu’un jour on ne les retrouve dans des vieilles archives.

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La définition du terme « CELEUSTIQUE » n’omet pas la première expression des ordres qui est « orale ».

Les batteries et sonneries, utiles lorsque les combats se faisaient « en ligne » n’ont plus d’autres raisons d’être que la référence au passé.

Aujourd’hui le combat a changé totalement d’aspect avec les combats «  insurrectionnels »; l’insécurité des arrières oblige tous les militaires à connaître les règles du combat à pied.

Le spécialiste « fantassin » sera, certes, équipé de moyens spécifiques tels les équipements « FELIN » mais tous les autres se doivent aussi d’être en mesure de faire face à une attaque brutale et rapide.

La cohésion du groupe attaqué et le geste réflexe du combattant sont tragiquement dépendant de la compréhension rapide des ordres oraux. Ceux-ci doivent donc être codifiés et connus de tous.

Quelle que soit la spécialité choisie, la formation de combattant à pied pour tous les militaires est la première nécessité du métier et donc la « céleustique orale » est à enseigner et maintenir avec rigueur !

La « céleustique  musicale » durera aussi longtemps que des unités maintiendront les traditions de la vie au quartier et tant qu’il y aura des cérémonies officielles.

Toutes les sonneries « d’honneur », comme autrefois, saluent l’arrivée des autorités

Le « garde à vous » conserve son sens premier : attention vous allez recevoir un autre ordre.

« Au drapeau » reste le symbole du regroupement de tous au service de la nation.

« Ouvrez / Fermez le ban » conserve son sens premier, celui de l’annonce d’un ordre du jour ou de citation ou de récompense.

Et la « sonnerie aux morts » conservera longtemps son sens de la grandeur du sacrifice pour la Patrie.

Encore faudrait-il faire un effort pour former quelques clairons et tambours dont la « sonnerie » réelle rend une authenticité au signal, autrement plus symbolique que celui envoyé par un disque sur haut-parleur !